Sri T. Krishnamacharya : Histoire d’une lignée
Mon premier cours de Yoga fut une tentative d’imitation du paon, une magnifique professeure sur une estrade qu’une quarantaine de personnes de tout âge tentait de suivre. Au moment où j’ai perçu une foule se roulant par terre comme des bébés essayant d’atteindre des positions improbables, j’ai quitté la salle en crise de fou rire et suis retournée à ma classe de danse.
Plus tard, j’ai de nouveau testé le yoga avec une prof très gentille et attentive aux élèves mais suite à un accident de la route, j’avais des soucis de mobilité et de douleur et malgré ma jeunesse, je me suis fait mal à plusieurs reprises.
A trente-deux ans, et de retour en Irlande, « bingo » j’atterris dans un cours de ‘Viniyoga’ où le prof nous montre des adaptations selon notre niveau et état de santé. Déjà enchantée par l’accessibilité de cette pratique, quand, à la fin du cours j’ai vécu un arrêt de mon dialogue interne, un silence dont j’ignorais l’existence, j’étais mordue.
Vingt-quatre ans plus tard, je me retrouve toujours sur mon tapis pour entretenir mon corps, lisser ma respiration et faire taire mon dialogue mental. D’où vient cette approche au Yoga et comment se trouve-t-elle dispersée dans le monde jusqu’à nous dans le sud-ouest de la France.
L’approche qui est pratiquée et enseignée au sein de l’Institut Français de Yoga doit ses origines au grand savant et érudit Sri Tirumalai Krishnamacharya. Né à Mysore dans le sud de l’Inde en 1888, son père lui enseigne le Yoga pendant son enfance et avant sa mort précoce, il lui conseille d’étudier les Yoga Sutra de Patanjali. En 1904 Krishnamacharya entre à l’Université où il étudie avec Babu Bhagvan Das et obtient une licence en Yoga et Samkhya.
En 1911 Krishnamacharya part au Tibet où il approfondit sa pratique et son savoir auprès du grand Yogi Ramamohan Bramachari jusqu’en 1924 où il retourne en Inde, se marie et commence à enseigner sous le patronage du Maharaja de Mysore qui lui ouvre une école dans sa ville natale.
Krishnamacharya, pendant les décennies 1920 et 1930, a enseigné surtout un Yoga très dynamique et aux postures śikśana, ou formes statiques traditionnelles non modifiées, aux garçons et jeunes hommes. Il animait des spectacles sur les places des marchés pour faire connaitre l’art du Yoga en voie de disparition sous l’occupation anglaise. Pendant cette période, il enseigne notamment à Pattabhi Jois et B.K.S. Iyengar devenus à leur tour professeurs mondialement connus et originaires des approches Ashtanga Yoga et Yoga Iyengar.
Appelé à travailler avec un public plus diversifié, dont les femmes, Krishnamacharya, s’intéresse à rendre son enseignement du Yoga plus accessible. Il développe des façons d’adapter les postures et techniques de respirations et intègre Ujjāyī, une technique de Pranayama, dans la pratique des postures, apportant plus de conscience et un aspect méditatif à l’exercice physique. Ainsi démarre l’évolution de la pratique que nous connaissons aujourd’hui.
En 1947, dû à l’Indépendance de l’Inde, le patronage des Maharajah décline et en 1953 Krishnamacharya part à soixante-cinq ans, accompagné de sa famille, pour Chennai, anciennement Madras. Il s’intéresse à l’Ayurveda et les applications thérapeutiques du Yoga qu’il estime devoir enseigner à l’élève selon sa capacité au moment présent.
Krishnamacharya, Brahmane et dévot engagé de Vishnu enseigna le Yoga à ses enfants dont T.K.V. Desikachar. Devenu ingénieur, Desikachar pris la décision d’abandonner son métier et de se consacrer à étudier auprès de son père à condition que Dieu ne soit pas un facteur obligatoire.
Desikachar, a étudié et travaillé auprès de son père jusqu’à son décès, centenaire, en 1989. Il développe son approche individuelle et thérapeutique du Yoga et adopte le Yoga Sutra Tasya Bhūmiṣu Viniyogaḥ (Y.S. 3.6) comme approche.
Ranju Roy, professeur et formateur de cette approche en Grande Bretagne, m’explique : « Il y a deux mots en Sanskrit samanya et viséṣa. Samanya veut dire général, la plupart du yoga de nos jours est géneral, l’éleve fait ce que fait le professeur. Viséṣa, veut dire spécifique, unique, individuel. Niyoga, c’est l’application. Viséṣa mets le V en Viniyoga. » Ainsi l’approche de Desikachar conserve l’individualité et s’adapte et se développe au rythme de l’élève.